En février, du côté de Toulouse. Marchant sous la pluie, Marie Chureau, 22 ans, enregistre une vidéo pour la diffuser sur son Instagram : « On est sur le tracé de l’A69, décrit-elle, essoufflée. Y’a Greta [Thunberg] qui est juste derrière. C’est important de soutenir cet endroit, on est en train de construire une autoroute qui va défoncer 400 hectares de terres fertiles, c’est absolument honteux. » Comme beaucoup de participants aux marches pour le climat, la jeune femme a suivi un cheminement militant accéléré avant de se retrouver sous les gaz lacrymogènes de cette ZAD (zone à défendre).
Tout commence alors qu’elle est en terminale à Laval, en Mayenne. Inspirée par la « grève pour le climat » de Greta Thunberg, Marie Chureau coorganise la marche du 15 mars 2019, déclarée Journée mondiale de grève scolaire pour le climat, dans sa petite ville. « On a fait sortir quasiment tous les lycéens dans la rue, les profs nous soutenaient, c’était hallucinant », se souvient-elle, encore incrédule. A Paris, Emmanuel Macron encourage les jeunes, des ministres se joignent au cortège. « C’était puissant, on avait l’impression qu’on allait changer le monde, poursuit l’étudiante, depuis installée dans la capitale. Les marches ont servi à politiser plein de gens… Mais à part de belles photos, il ne se passait rien. »
Assez vite, le mouvement de masse retombe, chacun suivant une trajectoire indexée sur son niveau de politisation. « Une bonne partie des participants a considéré que l’objectif avait été rempli, puisque l’écologie était devenue une question politique », décrit Maxime Gaborit, chargé de cours à Sciences Po et membre du collectif de sociologues Quantité critique, qui étudie le profil des manifestants pour le climat. D’autres personnes, qui se reconnaissaient dans des mobilisations de gauche, sont parties prêter main-forte aux « gilets jaunes », aux féministes ou au mouvement Black Lives Matter. « Quant aux jeunes au cœur du mouvement, ils visaient une transformation substantielle de la politique climatique de la France, qui n’a pas eu lieu, complète le chercheur. Eux ont connu le désarroi et cherché d’autres formes d’actions. »
Une répression croissante
Chez les plus politisés, l’une des trajectoires mène vers la désobéissance civile, notamment par l’entremise d’Extinction Rebellion, le mouvement importé du Royaume-Uni, qui bloque des places et des ponts. C’est ainsi que, six mois après sa première manifestation, Marie Chureau participe au blocage d’un centre commercial, puis des locaux parisiens du gestionnaire d’actifs américain BlackRock. « Ces jeunes expérimentent les choses en politique d’une façon assez accélérée, analyse Manuel Cervera-Marzal, sociologue à l’université de Liège et auteur de l’essai Résister (10/18, 2022). En 2015, il y a eu les attentats de Paris puis la COP21. Ensuite, les marches pour le climat, le Covid-19, les rapports du GIEC qui tombent tous les ans… C’est une génération de l’urgence permanente, avec des trajectoires de politisation très rapides. » Et des actions qui vont de l’aspersion de peinture sur des œuvres au sabotage de sites du cimentier Lafarge. « Certains d’entre eux perçoivent la situation comme une accélération vers la catastrophe, vers l’effondrement, poursuit le sociologue. Ils se sentent le droit de faire des choses que leurs aînés ne faisaient pas. »
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