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Agriculture

Aux Pays-Bas, l’agriculture intensive veut sauver sa peau

Blocage d'un centre de disttribution par des agriculteurs néerlandais le 5 juillet.

Depuis le 10 juin, des agriculteurs organisent des blocages aux Pays-Bas. Ils protestent contre une mesure gouvernementale qui prévoit de réduire de 30 % le cheptel dans le pays.

Sur une vidéo relayée par les médias hollandais, on entend très clairement le bruit des balles. Dans la nuit du 5 au 6 juillet, à Heerenveen (Pays-Bas), en marge d’une manifestation d’agriculteurs, la police, arguant dans un communiqué d’une « situation menaçante », a tiré des coups de feu qui ont atteint un tracteur.

Dans la foulée, trois personnes ont été interpellées et une enquête indépendante à propos des tirs des forces de l’ordre a été ouverte dans un contexte déjà très tendu : depuis le 10 juin, de nombreux agriculteurs néerlandais organisent des blocages d’accès routiers et de centres de distribution, entraînant des pénuries dans les supermarchés — sur Twitter, des vidéos tournées dans des magasins alimentaires montrent certains rayons en partie voire totalement vides.

Un plan d’action annoncé en septembre 2021 par le gouvernement, reprécisé ce 10 juin, n’est guère du goût des manifestants : il prévoit de réduire de 30 % le cheptel, estimé à plus de 100 millions de porcs, bovins et volailles dans le pays, de façon à limiter les émissions d’oxyde d’azote et à respecter les objectifs environnementaux des Pays-Bas à l’horizon 2030.

L’État néerlandais, condamné en 2019 par la Cour suprême pour inaction climatique — notamment en raison de ses importantes émissions de gaz à effet de serre — a ainsi affirmé vouloir diminuer les rejets d’azote jusqu’à 70 % dans 131 zones clés, pour la plupart situées non loin de terres protégées et de réserves naturelles. En contrepartie, l’exécutif a signifié qu’une partie des 24,3 milliards d’euros provisionnés pour la mise en œuvre de ce plan serait allouée à l’aide financière des agriculteurs. Une annonce insuffisante pour atténuer leur colère. 

« On fait face ici à une contradiction : pendant des décennies, les gouvernements européens et particulièrement celui des Pays-Bas ont poussé les agriculteurs à aller vers une industrialisation forcenée, avec des systèmes d’élevage très concentrés, précise Morgan Ody, agricultrice française membre de la Coordination européenne Via Campesina, une fédération paysanne [1]. Après des années de politiques publiques allant dans ce sens-là, il est maintenant demandé aux agriculteurs de réduire leur cheptel : cela provoque donc chez eux une grande incompréhension. »

Manque de cohérence

Considéré comme le champion de l’élevage intensif sur le Vieux continent, ce pays de 17,5 millions d’habitants, petit par la taille mais dense, est en effet le premier exportateur européen de viande. Pour rappel, 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde sont dues à l’élevage de bétail, le chiffre montant à 16 % aux Pays-Bas, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Si pour Morgan Ody, la concentration d’azote aux Pays-Bas est écologiquement insoutenable, la transition vers un autre modèle agricole ne pourra pas se faire d’un claquement de doigts et nécessite un accompagnement de long terme, notamment pour certains agriculteurs « dans le déni des effets de l’agriculture industrielle ». D’autant que tous, à qui la puissance publique avait pourtant promis qu’ils deviendraient compétitifs en adhérant à ce modèle, se sont finalement retrouvés très endettés, victimes notamment de la volatilité des prix.

« On culpabilise les agriculteurs qui manifestent alors que, pendant plusieurs décennies, le gouvernement leur a demandé de s’endetter, de produire plus pour moins cher et que, en parallèle, l’Union européenne vient de passer un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande. C’est complètement contradictoire », dénonce la productrice de légumes. Afin d’initier une transition acceptable, selon elle, le « gouvernement doit s’excuser » et il doit y avoir une « cohérence dans les politiques publiques, avec une régulation des marchés, des prix justes, mais aussi un soutien à l’agriculture paysanne et à l’agroécologie ». Elle déplore que la réforme de la Politique agricole commune (PAC), en 2023, ne s’annonce « pas du tout adaptée aux enjeux de la transition agricole, environnementaux et géopolitiques ».

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