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ReportageLuttes

« Tout le monde déteste les bassines » : dans les Deux-Sèvres, une grande manifestation pour protéger l’eau

Samedi 26 mars 2022 à La Rochénard, dans les Deux-Sèvres.

Des milliers de personnes ont manifesté samedi 26 mars à La Rochénard, dans les Deux-Sèvres, lors d’un weekend contre les mégabassines. Un tuyau supposé servir à l’alimentation d’une future bassine a été déterré pendant la marche.

La Rochénard (Deux-Sèvres), reportage

Le printemps donne de nouvelles couleurs à la mobilisation contre les mégabassines dans les Deux-Sèvres. Près de 7 000 personnes, selon les organisateurs, se sont rassemblées entre le 25 et le 27 mars à La Rochénard, pour s’opposer à la construction de réserves d’eau prélevée dans des nappes phréatiques, dites mégabassines, destinées à l’agriculture intensive. Un rassemblement parti d’un appel des organisations Bassines Non Merci, les Soulèvements de la Terre et la Confédération Paysanne [1].

Des manifestants arrivent à pied sur les lieux de la manifestation à cause des nombreux barrages routiers des gendarmes en amont. © Quentin Vernault / Reporterre

« Depuis le début, notre objectif est que cette problématique soit identifiée comme une problématique nationale, et c’est bien ce qu’on vit aujourd’hui, à deux semaines de l’élection présidentielle. Des gens sont venus de toute la France pour nous rejoindre », s’est félicité Julien Le Guet, porte-parole de l’organisation Bassines non merci, quelques heures avant le départ de la manifestation samedi après-midi. Si aucun candidat à l’élection n’était présent, des personnalités politiques, comme les eurodéputés Europe Écologie — Les Verts (EELV) Marie Toussaint et Benoît Biteau, le député La France insoumise (LFI) Loïc Prud’homme, ou encore le responsable du Parti communiste des Deux-Sèvres, Frédéric Giraud, ont répondu à l’appel. Et des opposants, pas forcément affiliés à des organisations, sont arrivés des quatre coins de la France, notamment via des bus affrétés au départ d’une quinzaine de villes.

Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines Non Merci. © Quentin Vernault / Reporterre

Difficile de faire émerger la lutte contre l’accaparement de l’eau dans une actualité marquée par le conflit en Ukraine. Pourtant, la situation ne saurait être une excuse pour en éclipser les enjeux. Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération Paysanne, a ainsi fustigé ceux qui, comme Emmanuel Macron, veulent revoir, au nom de la souveraineté alimentaire, la stratégie européenne « De la ferme à la fourchette », destinée à rendre l’agriculture plus durable.

« Nous ne sommes pas bêtement contre le stockage de l’eau ou contre l’irrigation, nous sommes contre ce que signifient les mégabassines, un modèle agro-industriel destructeur et prédateur. C’est dans la même logique que les farines animales, les OGM, les pesticides, qu’a essayé de nous vendre le modèle agro-industriel pendant des années… Aujourd’hui, on prend le prétexte de la guerre en Ukraine pour nous dire qu’il va falloir produire plus. L’agro-industrie a toujours été dans l’incapacité de nourrir le monde, les méga-bassines seront exactement dans la même logique », a-t-il affirmé.

16 réserves d’eau de substitution sont en projet dans le Marais poitevin, dont la première, Mauzé-sur-le-Mignon, a commencé à être remplie au début de l’année. Selon leurs détracteurs, elles vont servir à une poignée d’agriculteurs qui produisent des céréales pour de l’exportation ou du maïs pour nourrir des animaux.

Selon les organisateurs, plus de 7 000 personnes ont participé à la mobilisation. © Quentin Vernault / Reporterre

De son côté, l’État n’a pas facilité la tâche des manifestants. La Préfecture a interdit la circulation d’engins agricoles (hors riverains) à la Rochénard et des communes voisines, ainsi que la manifestation sur plusieurs communes. Elle a justifié son choix en faisant référence à des dégradations commises sur la bassine de Mauzé-sur-le-Mignon ces derniers mois. Deux hélicoptères ont surveillé la manifestation et la circulation a été coupée à proximité. De nombreux fourgons de la gendarmerie ont été déployés. « Le dispositif de surveillance que nous avons l’honneur d’avoir aujourd’hui [samedi] coûte plus cher que la bassine de Mauzé-sur-le-Mignon elle-même, soit plus de 3 millions d’euros », s’est offusqué le jeune militant Romain Guillot, président de l’association Éco Avenir.

Un agriculteur local tracte un char en tête de cortège. © Quentin Vernault / Reporterre

Jeudi 17 mars, une caméra et un routeur ont été retrouvés à proximité du domicile de Christian Le Guet, père de Julien Le Guet. Un dispositif de surveillance installé par la police nationale, comme l’a reconnu la préfecture des Deux-Sèvres. De quoi agacer encore un peu plus les opposants aux mégabassines. Christian Le Guet a d’ailleurs porté plainte contre X. « Du matériel militaire a été utilisé pour espionner les militants de Bassines Non Merci ! Les défenseurs de la terre ne sont pas des terroristes, ils ne violent pas la loi. S’il y en a qui violent la loi, aujourd’hui, ce sont les constructeurs de ces mégabassines. Les lois de la nature nécessitent que ces méga-bassines ne soient pas construites », a estimé l’eurodéputée Marie Toussaint.

Des gendarmes mobiles font face aux manifestants. © Quentin Vernault / Reporterre

En dépit de ces obstacles, un cortège bien rempli et coloré s’est élancé samedi en début d’après-midi de La Rochénard, en direction du site d’une future bassine à Epannes. Sous un soleil radieux, des manifestants de tous âges ont avancé en musique. Les slogans « No Bassaran » ou encore « Tout le monde déteste les bassines » ont résonné ici et là. Les participants avaient été invités à venir habillés en bleu de travail, avec des arbres à repiquer et des outils de jardinage. Après avoir encerclé le terrain qui devrait accueillir la réserve d’eau, certains y ont planté des arbres. Un grand SOS a été tracé avec des bâches. Les manifestants se sont ensuite dirigés le long d’un champ voisin, et les organisateurs les ont invités à déterrer un tuyau qui pourrait servir à alimenter la future bassine. Armés de pelles, de pioches et de beaucoup d’énergie, certains sont parvenus à creuser de vastes trous, encouragés par les autres manifestants, dans une ambiance rigolarde. « Aujourd’hui, l’agriculteur à qui appartient ce terrain n’irrigue plus, mais il récupère quand même des droits pour l’eau pour les donner à ses copains », a lancé une organisatrice dans un mégaphone. Plusieurs morceaux de canalisation ont été retirés.

Un manifestant porte une pioche en vue d’une action de mise en terre de plantes sur le site de la future bassine géante. © Quentin Vernault / Reporterre

Pendant que le cortège circulait le long du champ, quelques manifestants ont avancé en direction des forces de gendarmerie positionnées à une centaine de mètres. Certains ont lancé des feux d’artifices. Les gendarmes ont envoyé un coup de canon à eau sur un petit groupe de manifestants, puis ont avancé en direction du cortège en envoyant des gaz lacrymogènes. Cela a provoqué un petit mouvement de foule et beaucoup d’agacement parmi les manifestants, mais la plupart d’entre eux ont poursuivi leur route. Ils ont rejoint un peu plus loin les tracteurs qui n’avaient pas été autorisés à suivre la manifestation, pour finir le parcours avec un goûter à base de fruits et de biscuits maison.

Les gendarmes envoient des gaz lacrymogènes sur les manifestants qui leur font face. © Quentin Vernault / Reporterre

Parmi les participants, c’était plutôt la joie qui dominait. « C’est une manifestation réussie malgré toutes les embûches, les contrôles. Il faut avoir envie quand on vient ici, mais on voit qu’il y a de la résistance qui se met en place ! C’est notre avenir qui est en jeu », s’est par exemple réjouie Annie, 65 ans, originaire de Niort, tandis que sa camarade Lise, 43 ans, venue de La Rochelle, regrettait les barrages de la police sur son trajet. « J’ai envie de défendre une vision de l’agriculture qui n’est pas celle des bassines, et j’ai envie qu’on garde des zones humides, des cours d’eau, pour des raisons de biodiversité. Ici, c’est l’identité du Marais poitevin qui est en jeu. Mais c’est chouette de voir que ce n’est pas un sujet seulement local, et d’être soutenus à l’échelle nationale », estimait pour sa part, Chloé, 28 ans, habitante des Deux-Sèvres.

Des manifestants plantent un arbre sur le terrain d’une future bassine géante. © Quentin Vernault / Reporterre

Après la manifestation de samedi après-midi, une soirée festive était prévue à la Rochénard. Puis, le dimanche, des discussions sur la thématique de l’eau devaient se tenir avec différents collectifs. L’occasion d’organiser une mobilisation qui ne devrait pas faiblir dans les prochains mois. « Nous sommes déterminés à ce que plus aucune bassine ne soit construite. Nous ferons en sorte que tous les chantiers soient mis à l’arrêt et nous assumerons des gestes forts », prévient Léna, des Soulèvements de la Terre.



Notre reportage en images :


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