Une étude de l'OCDE affirme-t-elle vraiment que 43% des Français sont climatosceptiques ?

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Une étude de l'OCDE affirme-t-elle vraiment que 43% des Français sont climatosceptiques ?

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Manifestation pour le climat et la paix dans le monde, à Paris, en avril 2022
Manifestation pour le climat et la paix dans le monde, à Paris, en avril 2022
© AFP - Pauline Tournier / Hans Lucas

Sur les réseaux sociaux et dans plusieurs médias, spécialistes et journalistes ont affirmé que, selon une étude de l'OCDE, 43% des Français étaient climatosceptiques. Ils sont en réalité quatre fois moins. Une incompréhension partie d'un tableau partagé dans l'étude.

À la fin du mois de juin 2022, l'OCDE a publié une étude sur les "attitudes internationales à l'égard des politiques climatiques", qui repose sur des questionnaires posées à des milliers d'habitants, dont des Français, portant sur leur position quant au changement climatique. Dans ce rapport, un tableau montre que 57% des Français interrogés considèrent que le changement climatique est lié à l'activité humaine. Au mois d'août, François Gemenne, co-auteur du rapport du GIEC, a partagé ce tableau sur Twitter pour en tirer cette conclusion : "C’est en France que le consensus scientifique sur le climat est le moins bien accepté - 43% de la population sont climato-sceptiques".

François Gemenne étant une personnalité reconnue dans sa discipline et connue des médias, son tweet a généré des articles dans plusieurs grands médias comme TF1,  Elle ou BFM qui titre : "Une étude évalue à 43% la part de Français climatosceptiques et pointe leur niveau d'information". Ce chiffre choc a aussi été repris dans la matinale de France Inter. Mais si cette étude montre que 57% des Français sont convaincus que le changement climatique est lié à l'activité humaine, peut-on pour autant affirmer que 43% des Français sont dès lors vraiment climatosceptiques ? France Inter fait le point.

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2000 Français ont été interrogés

L'étude de l'OCDE qui nous intéresse a été menée par six spécialistes. 40.000 personnes ont été interrogées (dont 2.000 Français) dans "vingt pays qui représentent 72% des émissions mondiales de CO2". L'objectif : les questionner sur "la compréhension et les attitudes à l'égard du changement climatique et des politiques climatiques", résume le rapport. L'OCDE a notamment cherché à évaluer la connaissance et la compréhension des personnes interrogées sur le changement climatique. Plusieurs réponses ont été classées par pays et réunies dans un tableau, le fameux tableau partagé par François Gemenne sur Twitter.

Pour 57% des Français, l'homme est pour "beaucoup" ou "en totalité" responsable du réchauffement climatique

Comme le montre le tableau publié à la page 16 du rapport, la proposition suivante a été soumise aux sondés : "Le changement climatique existe, il est anthropocène (lié à l'activité humaine) ?" Cinq réponses étaient possibles : "None" ("aucun) ; "A little" ("un peu") ; "Some" ("en bonne partie"); "A lot" ("beaucoup") ou "Most" ("en totalité").

Face à cette proposition, 57% des Français ont répondu "beaucoup" ou "en totalité". Pour les autres, on sait seulement qu'ils ont répondu à l'une des trois premières propositions. Et que "12 ou 13%" (sic), selon le rapport, ont répondu qu'il n'y avait "aucun" rapport entre l'activité humaine et le réchauffement climatique. "Moins d'un dixième de la population nie totalement l'existence du changement climatique, sauf en Australie, en France et aux Etats Unis (où cette part s'élève à 12 ou 13%)", explique le rapport de l'OCDE.

Combien de Français pensent que le réchauffement est "en partie" lié à l'activité humaine ?

L'étude ne précise pas, en revanche, combien de Français ont répondu "A little" ou "Some", c'est-à-dire ne niant pas totalement le lien entre réchauffement et activité humaine. On peut juste déduire des chiffres mentionnés au-dessus qu'ils sont 30 ou 31% à estimer que le "réchauffement climatique" est "un peu" ou "en bonne partie" lié à l'activité humaine.

Contacté par France Inter, Adrien Fabre, co-auteur de l’étude, donne plus de précisions sur les données chiffrées des personnes interrogées. Une toute première question était posée : "À votre avis, le changement climatique est-il réel ?", à laquelle 88% des Français ont répondu oui. Les chercheurs ont ensuite posé cette nouvelle question, “selon vous, à quel point le changement climatique est-il dû à l'activité humaine ?" 14% ont répondu “None”, 11% “A little”, 18% “Some”, 27% “A lot” et 30% “Most”. C'est ainsi qu'ils en sont arrivés au "57%" qui apparaît dans le tableau, "ceux qui reconnaissent que le changement climatique existe et qu'il est principalement anthropique (27% de "Beaucoup" + 30% Essentiellement”, décrypteAdrien Fabre.

Mais, les 43% restants ne sont pas tous climatosceptiques, assure Adrien Fabre. Pour lui, les Français qui “nient totalement le lien entre l’humain et le réchauffement" sont 14% et non "12 ou 13%" comme l'affirme un peu mystérieusement l'étude de l'OCDE*. "Eux sont climatosceptiques selon la définition que j’en fais. Mais pour les 29% restants, j'interprète ça comme un manque de connaissance plutôt que du climatoscepticisme”*. Il pointe également le fait que publier le graphique sur Twitter, sans le reste de l’étude, peut facilement prêter à confusion.

Le tableau des réponses par catégorie à la question "Selon vous, à quel point le changement climatique est-il dû à l'activité humaine ?"
Le tableau des réponses par catégorie à la question "Selon vous, à quel point le changement climatique est-il dû à l'activité humaine ?"
- Adrien Fabre

Ces données en tête, nous avons appelé François Gemenne. "Prétendre qu’il n’y aurait que 10 à 12% de Français climatosceptiques me parait relever du conte de fée", nous a répondu le co-auteur du dernier rapport du GIEC. Pour lui, "les personnes qui n'acceptent pas totalement le consensus climatique [incluant celles qui ont répondu “a little” ou “some” à la proposition mentionnée] alors que nous sommes sûrs à 100% que le réchauffement est lié à l'humain, sont des climatosceptiques".

D’autres, au contraire, affirment qu’on ne peut pas considérer que les 43% des interrogés sont climatosceptiques, assurant, comme l’écrit l’étude, que "12 à 13% des Français" seulement nient le lien entre activité humaine et changement climatique. "Il y a en fait très peu de gens qui sont climatosceptiques", en France comme dans les autres pays, expliquait en juillet à France Inter Stefanie Stantcheva, enseignante à Harvard et co-autrice d'une note du Conseil d'analyse économique.

"Climatosceptique", quelle définition ?

Comment faut-il entendre dès lors le terme de "climatosceptique" ? Dans le dictionnaire Larousse, "climatosceptique" se dit "d'une personne qui nie ou minimise l’origine anthropique du réchauffement climatique, voire le réchauffement lui-même". Le Petit Robert voit beaucoup plus large : c'est une personne "qui met en doute les théories les plus répandues concernant le réchauffement climatique". Certains considèrent qu'une personne climatosceptique nie le réchauffement climatique, d'autres qu'elle nie le lien entre le réchauffement et l'activité humaine et enfin les plus rigoristes, comme François Gemenne, estiment que le simple fait de minimiser le lien entre l'activité humaine et ces changements relève de climato-scepticisme.

Quoi qu'il en soit, cette étude, et le tableau qui recense les réponses récoltées dans les 20 pays, confirme que ce sont les Français qui croient le moins à l'impact de l'activité humaine sur le réchauffement climatique. Seulement 57% ont répondu "beaucoup" ou "en totalité", contre par exemple 84% des Italiens ou encore 67% des Américains.

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