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Agriculture : pourquoi l’Afrique doit miser sur les femmes

Les Africaines, actrices clés de la sécurité alimentaire (1/3). Selon les bailleurs de fonds et les organisations internationales, renforcer l’accès des femmes aux terres, aux financements et au matériel permettrait d’améliorer la productivité et la vie des foyers.

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Publié le 15 juin 2022 à 20h00, modifié le 15 juin 2022 à 20h00

Temps de Lecture 4 min.

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Une femme récolte des salades à Cocody, en Côte d’Ivoire, en 2015.

Elles jouent un rôle central pour nourrir l’Afrique mais sont bien souvent les grandes oubliées du secteur agricole. Les femmes souffrent d’un accès inégal aux terres, aux financements et au matériel agricole, ce qui entrave grandement leur productivité. Au moment où le continent est frappé de plein fouet par un renchérissement du prix du blé et des intrants, contrecoup de la guerre en Ukraine, et qu’une sécheresse d’une gravité inédite accable certaines régions, la question du soutien à apporter aux femmes vivant dans les zones rurales se pose avec acuité.

Dans une étude intitulée « L’agriculture en Afrique, distinguer les faits des mythes », publiée en 2018, la Banque mondiale mettait le doigt sur une première difficulté : le manque de données fiables sur leur présence réelle dans le secteur agricole. Une estimation largement répandue voudrait qu’elles fournissent entre 60 et 80 % de la main-d’œuvre agricole du continent, mais les chiffres varient considérablement d’un pays à l’autre : de 24 % au Niger à 56 % en Ouganda. « Elles représentent environ 53 % des travailleurs dans la région », estime pour sa part Jemimah Njuki, cheffe de la section « émancipation économique » de l’ONU Femmes. Une zone de flou qui en dit long sur la précarité de leur condition dans un secteur largement informel et très inégalitaire.

Deuxième difficulté : un accès restreint aux équipements agricoles (outils, semences, intrants…) qui leur permettraient pourtant d’augmenter leur productivité. En cause : les systèmes de crédit, qui ne sont pas adaptés. « De la nécessaire obtention de la permission de leur mari pour y prétendre à l’injonction à rembourser une première tranche dès le début de leur projet même si les rendements sont encore inexistants, les dysfonctionnements sont encore nombreux », déplore Jemimah Njuki.

Le système est même parfois tout simplement détourné. « Lorsque les microcrédits visent uniquement les femmes, leurs maris peuvent leur demander d’emprunter à leur place, comme ça ce sont elles qui s’endettent », explique Marlène Elias, coordinatrice de la recherche sur le genre au Centre international d’agriculture tropicale (CIAT).

Corvées de bois et d’eau

Enfin, l’accès à la terre leur fait souvent défaut. D’après l’ONU, moins de 15 % des propriétaires fonciers en Afrique sont des femmes (20 % à l’échelle mondiale). Dans de nombreux pays, cet accès se fait encore par l’entremise des hommes. Or les règles de transmission, lors du décès d’un mari, d’un père ou lors d’un divorce, sont généralement défavorables aux femmes.

Certains gouvernements, comme en Ethiopie ou en Ouganda, incitent les époux à procéder à un enregistrement conjoint des terres. « Mais la loi ne suffit pas. Dans certaines communautés, le fait qu’une femme obtienne un titre de propriété peut être mal vu. C’est à l’ensemble des discriminations du système qu’il faut s’attaquer, en essayant de transformer les normes [sociales] », rappelle Marlène Elias.

Les femmes assument des tâches qui entravent leur productivité. Au travail des champs s’ajoutent souvent de pénibles corvées de bois et d’eau. « La grande majorité des enquêtes montrent qu’elles travaillent plus que les hommes quand on inclut le travail non rémunéré », confirme la socioéconomiste Isabelle Droy, de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) : « Elles supportent des charges domestiques particulièrement lourdes, s’occupent des enfants et des personnes âgées – des soins sans lesquels la société ne fonctionnerait pas. »

Responsables de la préparation des repas, elles sont les garantes des apports nutritionnels de leur entourage. Lorsqu’elles gagnent en autonomie, elles ont tendance à investir davantage sur leur famille. « Il a été démontré qu’investir sur l“empowerment” des femmes a des retombées positives sur le plan de la productivité mais aussi sur l’aspect nutritionnel et l’éducation des enfants », confirme Marlène Elias.

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Selon les bailleurs de fonds et les organisations internationales, augmenter la capacité agricole des femmes permettrait d’améliorer la vie des foyers et d’accroître la sécurité alimentaire. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime qu’en garantissant aux femmes et aux hommes un même accès aux moyens de production, les rendements des exploitations agricoles dans les pays en voie de développement augmenteraient de 2,5 à 4 %. Par ricochet, le nombre de personnes souffrant de la faim à travers le monde pourrait diminuer de 17 %.

« Associer les hommes »

Les projets se multiplient aussi pour améliorer la représentation des femmes rurales dans les instances de décision. Cela implique de les former et de leur donner plus de place dans les politiques publiques. « Il faut des budgets dévolus au genre dans les ministères et une perspective féministe sur les problèmes qu’elles rencontrent », soutient Jemimah Njuki.

Un rapport conjoint de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (Ifpri) et de l’initiative Global Health 50/50, qui recense et décrypte les politiques et usages en matière de genre au sein d’organisations internationales, note que les femmes ne représentent que 6 % des PDG et présidents des conseils d’administration d’un échantillon de 52 organisations actives dans les systèmes alimentaires des pays à faibles ou moyens revenus.

Afin de combler les écarts dans ce domaine, Jemimah Njuki travaille depuis 2021 à la mise en place d’une coalition, Making Food Systems Work for Women and Girls, incluant des agences onusiennes, des mouvements de la société civile, le secteur académique, etc., avec l’objectif d’inclure l’égalité entre les genres et l’autonomisation des femmes dans les systèmes alimentaires. Un indice annuel a déjà été élaboré pour mesurer la place des femmes dans les fonctions de leadership, les politiques de genre et leurs résultats dans les organisations du secteur agricole.

De nombreux spécialistes appellent enfin à repenser l’aide destinée aux femmes rurales en y associant leurs communautés afin d’éviter les blocages. Car les préconisations des bailleurs de fonds internationaux se heurtent régulièrement aux normes sociales. « Il est nécessaire d’associer les hommes à la définition de ces programmes et de les convaincre qu’ils ont eux aussi un intérêt à ces évolutions », conclut Isabelle Droy.

Cet article a été réalisé dans le cadre d’une série en partenariat avec Cartier Philanthropy.

Sommaire de la série « Les Africaines, actrices clés de la sécurité alimentaire »
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