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Face aux grands enjeux sociétaux, quelle place pour la philanthropie européenne ?

Face aux grands enjeux sociétaux, quelle place pour la philanthropie européenne ?

21 Jui.2022

Dérèglement climatique, guerre en Ukraine, crise démocratique, montée des inégalités… quel rôle la philanthropie européenne peut-elle jouer pour contribuer à relever ces défis majeurs ?

Échange avec Debora Guidetti, responsable du programme européen d’Ariadne et Delphine Moralis, directrice de Philea.

Comment définiriez-vous la philanthropie européenne ? Sur quelles valeurs repose-t-elle ?


Delphine MoralisDelphine Moralis : La philanthropie européenne repose sur des valeurs et des principes auxquels nous adhérons pleinement chez Philea : le renforcement de la confiance, la collaboration, la transparence, l’innovation, l’inclusion et la diversité. Cette notion de philanthropie européenne fait référence aux fondations, aux entreprises, aux communautés et aux individus qui en Europe utilisent leurs propres ressources financières et non financières pour le bien public.


Debora GuidettiDebora Guidetti : La philanthropie européenne contemporaine s’inspire des valeurs universelles de solidarité et fraternité que l’on retrouve au fondement de l’État providence, avec lequel elle est pleinement complémentaire. Le contrat social de l’après Deuxième Guerre mondiale est donc son socle, mais le contexte démocratique lui permet d’aller au-delà de l’approche caritative héritée des traditions religieuses. Et cela est particulièrement vrai quand la philanthropie s’engage pour les droits humains, car dans ce domaine elle agit non seulement pour les plus vulnérables, mais également pour soutenir le changement des structures sociales qui perpétuent de telles vulnérabilités. Elle donne du sens à la notion de fraternité, en lien avec celles d’égalité et de liberté. La philanthropie moderne porte un idéal démocratique de la société européenne et des sociétés nationales et régionales qui la composent.

Quel rôle peut-elle jouer ? Quels sont selon vous ses domaines d’action prioritaires ?

DG : Le changement climatique est le défi majeur de notre génération, un défi auquel nos sociétés sont confrontées dès maintenant, mais aussi sur le long terme. La philanthropie peut et doit contribuer à éveiller les consciences sur l’urgence de la transition écologique et l’accompagner, pour qu’elle soit une transition juste.

À moyen terme, la philanthropie peut aussi soutenir la société dans la transition digitale pour que les droits fondamentaux (protection des données, non-discrimination, accessibilité des services publics, etc.) continuent à être respectés et pour que tous les citoyens européens, indépendamment de leur origine, puissent profiter sereinement des opportunités que les nouvelles technologies nous offrent – tout en prenant en compte les questions écologiques.

À plus court terme, deux phénomènes inquiètent nos membres : la montée des inégalités, exacerbée par les crises de ces dernières années, et l’affrontement entre régimes autoritaires et sociétés ouvertes, qui se déroule dans toute sa violence en Ukraine notamment. Dans ce contexte, la philanthropie européenne doit promouvoir le changement social et soutenir une société civile libre et indépendante, qui joue son rôle de « chien de garde » des droits humains. La philanthropie contribue également à renforcer les fondamentaux démocratiques, comme la liberté des médias par exemple.

Le quatrième axe d’action se situe au sein même du secteur philanthropique : c’est celui de la responsabilité, de la redevabilité et de la légitimité, pour que les fondations soient encore plus participatives, plus transparentes, plus en harmonie avec la société qu’elles cherchent à servir, et donc plus diversifiées. L’objectif est notamment de renforcer la cohérence dans l’utilisation de toutes leurs ressources (non seulement dans les subventions octroyées, mais aussi dans les choix d’investissement de leur capital) et dans leurs opérations ou modes d’actions. Elles doivent a minima répondre au vieil adage « primun non nocere » (d'abord ne pas nuire), ainsi qu’aux critères qu’elles attendent de leurs partenaires sur l’impact climatique et environnemental de leurs actions, mais aussi sur la parité et l’égalité des chances par exemple.

DM : La philanthropie en Europe joue un rôle unique : elle sait prendre des risques, suscite ainsi l'innovation et agit comme un catalyseur du bien commun.
Elle soutient des programmes dans des domaines dont nous bénéficions tous, tels que l'éducation, la santé, la science, l'environnement, la culture et le développement international. Aux côtés d'autres organisations de la société civile, elle agit en complémentarité et en partenariat avec les initiatives des gouvernements et du secteur privé.
Par définition, elle reflète la myriade d'intérêts des personnes et des communautés en Europe, mais à quelques années de l'échéance des Objectifs de développement durable, elle a un rôle capital à jouer sur les questions liées au dérèglement climatique, à la crise de la démocratie, aux inégalités croissantes.

Quels sont les atouts de la philanthropie européenne pour relever les grands défis actuels ?

DG : La philanthropie française et européenne s’est énormément développée et consolidée ces 20 dernières années. Ainsi, grâce aux partenariats innovants noués avec des acteurs très différents, elle est en mesure de proposer aux personnes les plus vulnérables des réponses prenant en compte toutes les dimensions des difficultés qu’elles rencontrent, au plus près de leurs besoins.

Cette évolution récente de la philanthropie concourt au bien commun : la capacité à aller vers davantage de collaborations et être à la hauteur de la complexité et de l’intersectionnalité des défis actuels. Je pense ici par exemple à un nouveau projet de recherche qu’Ariadne[1] mène en collaboration avec la Fondation Mozilla et la Fondation Ford à la croisée du changement climatique et des droits numériques, ou à des initiatives comme l’International Philanthropy Commitment on Climate Change.

La philanthropie européenne doit mettre à profit la liberté dont elle jouit pour développer tout son potentiel d’innovation dans la promotion des droits humains et assumer pleinement sa capacité à prendre des risques. Face aux grands enjeux de notre société, il est grand temps de se demander quel est le risque de l’inaction.

DM : Pour relever ces défis et faire face aux crises, la philanthropie européenne dispose d'une boîte à outils diversifiée qui comprend différents types d'actifs :

- Des actifs financiers, car la contribution économique de la philanthropie est significative ! Il existe plus de 147 000 organisations philanthropiques en Europe, dont les dons annuels cumulés s'élèvent à près de 60 milliards d'euros. Le total des actifs des fondations européennes d'utilité publique s'élève à plus de 511 milliards d'euros.

- Des actifs stratégiques/organisationnels, puisque l’une des caractéristiques de la philanthropie est sa capacité à répondre en temps réel aux crises, tout en ayant une vision à plus long terme – elle n'est pas limitée à des solutions court terme comme peuvent l’être les gouvernements. À cela s'ajoutent l'étendue et la profondeur considérables de l'expertise des organisations philanthropiques sur ces sujets.

- Des atouts géographiques, grâce à l’enracinement des organisations philanthropiques au sein des communautés locales. Cet ancrage permet une meilleure compréhension des besoins au niveau local. Les fondations communautaires en sont le meilleur exemple.

 [1] Ariadne est le premier réseau de philanthropie en Europe sur les droits humains et le changement social. Il rassemble 600 organisations intervenant sur ces thématiques.

Voyez-vous des freins au développement de la philanthropie européenne ? Si oui, comment les lever ?

DG : En considérant les valeurs sur lesquelles repose la philanthropie européenne, il est préoccupant de constater que le soutien à la démocratie et aux droits humains est parfois considéré comme un sujet trop politique ou même partisan, surtout dans certains pays qui subissent un repli autoritaire, mais pas seulement. Pour favoriser le renouveau démocratique dont l’Europe a besoin pour faire face aux défis du XXIe siècle tout en maintenant la cohésion sociale qui a permis son essor dans l’après-guerre, les fondations devraient être en mesure d’encourager la participation citoyenne, les transitions justes ou la lutte contre les discriminations, sans que la contribution à l’intérêt général de ces initiatives soit mise en question.

DM : La contribution de la philanthropie européenne est en effet essentielle pour maintenir le tissu de la société civile, mais elle est confrontée à un certain nombre de problèmes majeurs. Ceux-ci sont expliqués dans notre Manifeste sur la philanthropie, qui est un appel aux décideurs politiques en Europe pour qu'ils travaillent à la création d'un marché unique de la philanthropie. Nous y demandons une plus grande reconnaissance de la philanthropie dans la législation européenne ainsi qu'au niveau national ; un soutien accru à la philanthropie transfrontalière dans l'Union européenne ; et la suppression des obstacles actuels à la philanthropie, tant nationale que transfrontalière, afin de maximiser l'impact de son travail.

Quel impact les crises successives – crise migratoire de 2015, pandémie de covid, guerre en Ukraine… – ont-elles eu sur la philanthropie européenne ?

DM : Les crises de ces dernières années ont incité les organisations philanthropiques à faire plus, à faire mieux, et à travailler davantage ensemble dans des contextes difficiles.
Les situations de crise sont en effet devenues la norme et, malheureusement, il y a peu de raisons de croire que cela va changer de sitôt. Pour aggraver les choses, ces crises n'ont pas formé une file d'attente ordonnée pour nous permettre de les affronter une par une : nous devons faire face à de multiples crises simultanément.
De ces difficultés a émergé le meilleur de la philanthropie. Nous avons été témoins d'une solidarité, d'une agilité, d'une rapidité et d'une collaboration extraordinaires. Récemment, nous avons vu cela dans l’urgence pour l’Ukraine, où quelques jours après l'invasion du pays, des plateformes ont été mises en ligne pour coordonner la réponse et identifier les besoins et les opportunités d'aide.

DG : La crise migratoire a poussé les fondations vers une plus grande collaboration : des initiatives existantes comme EPIM (European Programme for Integration and Migration) en sont sorties renforcées et davantage de collaborations internationales ont émergé dans un contexte de rétrécissement de l’espace pour la société civile (Funders Initiative for Civil Society - FICS, ou CIVITATES entre autres).

La pandémie et la guerre en Ukraine ont également amené le secteur à davantage de coopérations, de réactivité et de flexibilité : maintenant que nous avons vu que cela fonctionnait, espérons que cela pourra perdurer et s’élargir à d’autres domaines d’action. C’est en ce sens qu’Ariadne, en collaboration avec EDGE Funders Alliance, vient de lancer un site web, Funding for Real Change qui vise à proposer des modalités de financement plus réalistes et efficaces : frais de fonctionnement et coûts indirects (administration, recherche de subventions, mise en conformité légale et règlementaire…), mais aussi un soutien agile aux programmes, capable de s’adapter à leurs besoins. Nous avons recueilli les retours d’expérience d’une douzaine de fondations, parmi lesquelles de grandes fondations américaines, pour analyser l’impact de financements flexibles et de l’appui sur le long terme. Il en ressort que cette approche permet de sortir les organisations soutenues d’un cycle de financements ponctuels qui les fragilise, et qui limite leur impact puisque cela les réduit à des usines à projets.

Comment développer davantage les collaborations entre organisations philanthropiques européennes tout en apportant des réponses pertinentes à l’échelle locale ?

DG : Le thème de la collaboration revient régulièrement dans les souhaits de nos membres. Avec l’essaimage d’initiatives innovantes et efficaces issues de la société civile et le renforcement des échanges entre pairs du secteur philanthropique à l’échelle internationale, les bonnes pratiques peuvent être adaptées et reproduites aux niveaux nationaux ou locaux.
En outre, des fondations qui ont elles-mêmes expérimenté les bénéfices de la collaboration européenne seront plus à même d’aider leurs partenaires de la société civile à coopérer entre eux afin de maximiser l’impact pour le bien commun.

DM : Je pense également que l’échelle locale est fondamentale : c'est à ce niveau que les défis mondiaux se font le plus ressentir, et c'est souvent localement que nous pouvons commencer à y répondre. Lorsque nous parlons de la crise climatique, nous parlons d'une crise mondiale, mais l'impact est plus réel lorsque vous en faites l'expérience au niveau de la communauté – inondations, feux de forêt... La « crise climatique » n'est qu'un mot sur une page, tant que l'on n'en ressent pas directement les effets dévastateurs.

C’est pourquoi il est bon que les organisations philanthropiques poursuivent leurs actions locales, enracinées dans la communauté, mais qu'elles regardent continuellement vers le haut et vers l'extérieur, vers des partenaires potentiels, pour voir comment elles peuvent aussi apporter une réponse plus holistique, car les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont trop importants pour qu'une personne ou une organisation puisse s'y attaquer seule.

Quelles perspectives pour la philanthropie européenne d’ici cinq ans ?

DG : Après une phase de développement presque exponentielle, la philanthropie internationale et européenne  est en train de se remettre en question. Elle veut se concentrer davantage sur les causes profondes des problèmes et cherche à adopter une approche systémique du changement, pour passer des solutions « pansements » à des solutions durables. Cette évolution est sans doute une réponse à certaines voix critiques, souvent constructives, mais elle est aussi issue d’un souci sincère de repenser la légitimité de la philanthropie. Je vois cela dans l’essor d’approches comme la philanthropie basée sur la confiance par exemple, qui émergent aussi en Europe.


DM : Au cours des cinq prochaines années, la philanthropie européenne est appelée à faire ce qu'elle fait le mieux : soutenir les gens, renforcer les communautés et la démocratie, et jouer son rôle dans la recherche de solutions globales aux problèmes mondiaux. Nous devons pour cela poursuivre notre élan vers des approches globales, intersectionnelles. De même, nous avons clairement besoin de la participation de chacun, les personnes les plus concernées par les difficultés doivent être les plus impliquées dans la recherche de solutions.
Nous devons également participer à l'élaboration d'un récit plus positif, fondé sur des preuves, concernant les problèmes mondiaux, car il y a de l'espoir, il y a des solutions, et nous pouvons y arriver si nous agissons ensemble ! 

Sur l’équité et la justice climatique au sein des fondations, découvrir le guide Centering equity and justice in climate philanthropy

Sur le soutien de la philanthropie en faveur des droits humains, consulter le site Human Rights Grantmaking Principles

Pour aller vers plus d’impact et un changement systémique, voir le site Funding for Real Change

Sur les initiatives technologiques et la résilience numérique, voir le guide How to Fund Tech Guide

Sur les fondations et le soutien au journalisme et aux médias, voir le rapport An Introduction to Funding Journalism and Media

Sur les tendances et défis des fondations en Europe, lire le rapport de prospection Ariadne Forecast 2022

 

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